(23h07) Selfmademan : Je m'impatiente.
(23h07) Selfmademan : Toi si ponctuelle habituellement...
(23h12 via mobile) Bloodymary : Navrée, je suis bloquée au vernissage de Braseul.
(23h12) Selfmademan : Le type qui se prend pour Warhol ?
(23h14 via mobile) Bloodymary : Celui-là même. Mais je ne peux malheureusement pas me permettre de le perdre. Va savoir pourquoi, les gens s'arrachent ses collages de CM2.
(23h15) Selfmademan : Bien, je te pardonne. D'abord parce que ma bonté n'a pas de limite, ensuite parce que je risque également de te fausser compagnie vendredi soir pour cause de séminaire assommant.
(23h16 via mobile) Bloodymary : La rançon de la gloire. ( :
(23h17) Selfmademan : Avec un peu de chance, j'aurai tout de même quelques minutes à t'accorder. J'arrive à dix huit heures à New York.
(23h17 via mobile) Bloodymary : Oh, New York ? Mon dieu, j'adorerais y aller...
(23h18) Selfmademan : Crois bien que je préfererais arpenter les rues de Manhattan avec toi. D'autant que je risque de me sentir très seul au Sofitel...
(23h21 via mobile) Bloodymary : Trente-cinq ans, cadre, célibataire et français à New York, oui, c'est sûr, ça va être terriblement difficile pour toi...
(23h21) Selfmademan : Jalouse ?
(23h21 via mobile) Bloodymary : Ne commence pas... Il faut vraiment que je file. Je t'embrasse. A demain.
(23h22) Selfmademan : Ne laisse pas cet enfoiré de Braseul te peloter entre deux pauvres reproductions de Magritte !

« Alors ? » souffla Camille en se hissant sur le plan de travail de la cuisine, arrachant un soupir agacé à sa génitrice. « Alors ? » « Alors, Bobby, je veux dire. » Toute à ses impératifs de lave-vaisselle, Nathalie se refusa à faire le moindre commentaire. Camille posait la question, sans imaginer à quel point la réponse lui déplairait. « Il est bien, tu ne trouves pas ? » Et d'enfoncer le clou... « Je ne sais pas. » avoua t-elle en guise de compromis. « Tu ne sais pas. » reprit l'adolescente. « Tu as toujours un avis sur tout et n'importe quoi mais tu rencontres mon petit-ami pour la première fois et... Tu ne sais pas ? » « Je n'ai pas un avis sur « tout et n'importe quoi » comme tu dis. Et... » La tâche n'était pas aisée. Comment expliquer à la prunelle de ses yeux que le garçon qu'elle s'était choisie n'était qu'un loser de premier plan ? « Et quoi ? » « Que âge a t-il déjà ? » demanda t-elle, en accordant enfin toute son attention à sa fille. « Vingt-huit ans. Il te l'a dit tout à l'heure. » « Seigneur, Camille, et toi tu es si jeu... » « Comme d'habitude, il n'y a que toi pour voir le mal là-dedans... Les temps ont changé, tu sais. » ajouta t-elle à dessein, savourant presque le spectacle du visage de sa mère en pleine décomposition.  

« Je m'inquiète pour toi. » reprit finalement Nathalie. « Bobby... a l'air d'être un gentil garçon. » « Mais ? » enchaina la jeune fille, pas dupe. « Mais... Il n'a pas de vrai travail, il a arrêté ses études et... » La gamine la toisa intensément, attendant la suite. Nathalie avait écumé les guides du bon parent, de l'attitude à adopter face à son adolescent rebelle, pourtant rien ne lui vint sinon un bon vieux sermon dans les règles de l'art. « Bon sang, Camille, il a dix ans de plus que toi ! Que te faut-il de plus ? Tu n'es pas si innocente, à quoi penses-tu qu'il en veut, hm ? » Définitivement assombrie, la jeune fille se détourna de sa mère, un sourire amère pour lui barrer le visage. « Et bien tu seras ravie d'apprendre qu'il n'en veut pas à mon cul, maman. » La mère sursauta comme si son bébé venait de lui exhiber l'une de ses sex-tapes sous le nez. « On est ensemble depuis un an et il ne m'a pas touchée parce qu'il me respecte. Il a dit qu'il attendrait que je sois prête. » déclara t-elle. Un instant, Nathalie se vit fondre sur son enfant et louer son intelligence et son intégrité, fruit d'une éducation dont elle se sentit tout à coup infiniment fière. Cependant, sa propre intelligence lui souffla de n'en rien faire. D'autant qu'une nouvelle pensée empoisonna bientôt son esprit paranoïaque. Alors que la jeune Camille pensait avoir gagné le round, la mine presque victorieuse de son adversaire lui souffla le contraire. « J'en étais sûre... » « De quoi est-ce que tu parles ? » grinça sa fille. « Ton Bobby, il est... Tu sais... » « Non maman, je ne sais pas. » « Enfin ! Un type qui n'essaye même pas de... Une belle fille comme toi... Camille, je ne vais pas te faire un dessin ! » « Précise le fond de ta pensée, je t'en prie. » « Il est gay, trésor. Et crois bien que j'en suis désolée. » « T'es complètement dingue. Tu sais quoi ? Je m'en fous. Je savais que tu ne comprendrais pas. » Elle tenta bien d'agripper le bras de la jeune fille mais cette dernière se déroba violemment. « Putain, plus le temps passe et plus je comprends pourquoi papa s'est tiré ! » Il y eut un silence pendant lequel Camille sembla évaluer l'impact de son attaque. Et puis Nathalie vit sa fille disparaître à l'étage. Sa fille disparaître tout court. Elle ne fit rien pour l'arrêter. Camille la connaissait si bien. Il suffisait de quelques mots pour la mettre à terre. Quelques mots pour lui rappeler que l'amour de sa vie les avaient plaquées, elle et sa fille, pour une vingtaine d'années et un corps parfait. Au milieu de la vaisselle souillée, au milieu de ses quarante ans, la belle se sentit défaillir. Pourtant, c'était si loin, tout ça. Que pouvait-elle faire, sinon tenter de composer avec ?

« Ce petit enculé de Bobby, s'il croit qu'il va s'en sortir comme ça... »