La grisaille tâche son regard de nuages éparpillés. Ses doigts s'emmêlent à quelques mèches de ses cheveux en désordre. Le premier parfum est celui de la solitude, de l'irrévocable un qui ne se multiplie pas. Des gestes mécaniques pour un quotidien parsemé de songes enfantins. Victoria dévale la pente de l'inconscience, tout en souriant narquoisement à la gueule des passants. Elle sourit parce que sourire sans raisons, en 2013, ça dérange. Elle aime bien l'esquisse que les tendres rébellions laissent traîner à leur passage. Se donner l'illusion qu'elle reste insoumise à la société. Conneries. Ses longues jambes semblent parfois s'éterniser jusqu'à des contrées inexplorées. Derrière elle, elle ne laisse qu'un claquement de talon approximatif et vagabond. Souvent elle a des allures d'évadée. Personne n'a jamais réellement su pourquoi.  En réalité, c'est elle-même qu'elle tente de semer. Les reflets dans le miroir la fissurent et ses prunelles vissées à celles de la surface glacée la terrorisent inconditionnellement. « Je suis dans le corps de quelqu'un qui ne m'aime pas. » L'écriture italique de la différence irritante et l'encre aussi noire que la nuit rôdant au creux de ses os. Elle écrit sur la terrasse d'un café laissé à l'abandon. Isolée par une aura qu'elle imagine mystérieuse et magnétique. Dans la foule, elle cherche quelque chose. N'importe quoi. L'idée d'une étincelle nouvelle, d'un sauveur qui ne viendra pas. Jamais. Puis elle oublie, en portant à ses lèvres sa tasse de Darjeeling.

Elle paie la note sans dire au revoir et s'en va, toujours avec la même brise. Celle de l'indifférence mêlée à une profonde misanthropie. Pourtant elle aime ce qu'elle déteste. L'homme est aussi fascinant que méprisant. Elle court d'un extrême à l'autre et perd parfois quelques plumes. Elle change le dramatique en anxiolytique. Les airs torturés, la constance d'une tristesse l'aident un peu à s'échapper. Parce que sans douleur, il n'y a pas d'art à ce qu'il paraît. La souffrance est sacrée mais parfois, elle aimerait ressembler à toutes ces filles. Aux sourires sincères et débordants. Elle aimerait rire à s'en casser la lucidité. Se noyer dans une euphorie artificielle et basique. Puis elle comprend qu'elle n'y parvient pas, que son masque à elle est différent et que la différence, ça a toujours fait fuir les gens. C'est comme une épaisse armure qu'elle porte dans le déni. Comme une insolence incomprise et pourtant issue de son être désabusé par la démence des jours ensoleillés. Elle laisse les pensées l'encombrer et puis elle enfile ses chaussons de danse pour se libérer. Elle s'envole et se délecte d'une légèreté morbide, qui la dégoûte mais qui lui donne les clefs d'un apaisement malgré tout. Un secret parmi tant d'autres. Le sien, gardé égoïstement et dont elle abuse abusivement.

Quand elle ne danse pas, elle se fait emporter par les vagues de l'indécence. Elle redessine les corps de ses doigts habiles et arrache quelques fois des cœurs. Elle murmure des promesses dans l'unique but de les briser et son silence parle mieux que n'importe quel preuve de sentiments. Elle connaît les vices et aime l'odeur des ruelles recouvertes par l'obscurité. Surtout lorsque le pétillement du champagne se joint à la déchéance des poètes damnés. Elle insuffle des étoiles sur l'oreiller, dérobe des tendresses masculines inespérées. Elle aime les amadouer ces mâles au regard de braise qui se croient au dessus de tout et jouer, comme une enfant aux caprices peints de déraison, à qui cédera le premier. L'ambiguïté des rapports charnelles agit en somnifère. C'est plus facile de partager sa chair que de partager son cœur. La fuite est énoncée à nouveau. L'attachement, l'horrible naïveté de l'âme qui construit, silencieusement, de hauts espoirs pour finalement les briser à coup de distance vomitive. Victoria, ce n'est pas la fille qui court après l'ombre d'un mec. Ce n'est pas la fille qui s'use  pour de beaux yeux et un sourire enjôleur et puis la sincérité, ça la fait reculer. Chaque histoire sans lendemain sert à bâtir les remparts, protégeant son âme. Mais tôt ou tard, quelqu'un trouve la faille et s'immisce. Volontairement ou non et la fugitive devient alors prisonnière.

Ce n'est qu'un prénom qu'elle s'est d'abord efforcé d'effacer. Le prénom d'un peut-être. Un prénom qui résonne trop fort et trop souvent. Ce n'était pas programmé, pas désiré mais c'est là. En elle et dans sa tête. Côme, ce n'est que quatre lettres et deux syllabes. Côme, ce n'est qu'un nouveau monde pourtant déjà habité par un passé certainement trop proche et l'évasion ne fait plus partie de la question. Les sentiments sont troublés, tout est remis en question. Victoria n'est plus, Victoria devient.